Nous, organisations soussignées, vous écrivons pour exprimer notre profonde préoccupation face aux objectifs et hypothèses qui semblent sous-tendre le 2e Sommet de Dakar sur l’agriculture et l’agroalimentaire (Dakar II), qui se tiendra du 25 au 27 janvier 2023 au Sénégal.

L’objectif affiché du Sommet, organisé par la Banque africaine de développement (BAD) en collaboration avec le gouvernement du Sénégal, est d’augmenter la productivité agricole et de soutenir les infrastructures et les systèmes agricoles « intelligents face au climat » en utilisant des investissements du secteur privé afin « d’aider à faire de l’Afrique un grenier à blé pour le monde ». Les organisateurs du Sommet affirment que cela nécessitera entre 28,5 et 36,6 milliards de dollars par an.

Cependant, le problème structurel sous-jacent de l’insécurité alimentaire en Afrique n’est pas simplement un manque de terres cultivables en Afrique, ou une pénurie globale de nourriture, comme le suppose la BAD.

Au cours des dix dernières années, d’énormes étendues de terres à travers le continent africain ont été accaparées par des intérêts agro-industriels. Ainsi, des forêts ont été incendiées au Libéria et à Sao Tomé au profit de plantations de palmiers à huile , tandis que les déchets des plantations de canne à sucre détruisent l’environnement au Nigeria. Le Land Matrix estime que 50 % des transactions d’investissement foncier en Afrique ont eu lieu sur des terres utilisées par de petits agriculteurs, principalement en Éthiopie, au Sénégal, au Ghana, au Mozambique, en Sierra Leone, en Tanzanie et en Ouganda.

L’affirmation du Sommet selon laquelle une « agriculture intelligente face au climat » (AIC) est nécessaire pour lutter contre l’insécurité alimentaire n’est pas non plus étayée par des preuves. Comme l’explique GRAIN, l’AIC comprend toutes les pratiques qui prétendent réduire les gaz à effet de serre, mais évite de s’attaquer aux causes profondes de la crise climatique, y compris le système alimentaire industriel : par exemple, l’AIC peut inclure la pulvérisation d’herbicides toxiques dans un champ afin d’éviter de labourer le sol et de libérer du carbone dans l’atmosphère. Cela peut également inclure des pratiques néfastes telles que la transformation des terres en plantations de soja qui peuvent être étiquetées comme « intelligentes face au climat » puisque le soja ne nécessite pas d’engrais azotés. GRAIN a expliqué comment l’AIC a été conçue par des entreprises agroalimentaires pour contrer le soutien croissant à l’agroécologie dans les forums internationaux sur l’agriculture et le changement climatique, le terme étant propulsé dans le courant dominant par les entreprises d’engrais, à travers une campagne de lobbying et une alliance mondiale d’entreprises, de gouvernements et d’agences multilatérales comme la Banque mondiale et la FAO. Aujourd’hui, l’AIC peut inclure une gamme de pratiques destructrices telles que la monoculture à grande échelle, l’élevage industriel ou les OGM.

Parmi les technologies AIC promues lors du Sommet de Dakar II, figure le maïs économe en eau et intelligent face au climat , qui est promu par le programme « Technologies for African Agricultural Transformation (TAAT) Maize Compact » de la Banque africaine de développement. Ces technologies sont aussi promues par le projet « Water Efficient Maize for Africa (WEMA). Selon la Banque mondiale, le maïs tolérant à la sécheresse a aidé les agriculteurs du Zimbabwe, du Malawi et de la Zambie à survivre à la sécheresse de 2019. Cependant, le Centre africain pour la biodiversité, ACB, a révélé comment le projet WEMA, qui a été entouré de secrets, vise à construire une industrie semencière privée en Afrique et répandre l’adoption de variétés de maïs hybrides. Monsanto et BASF ont tous deux fait un don au projet WEMA. ACB explique comment la WEMA est utilisée pour faciliter l’ introduction des OGM dans les pays africains et pour affaiblir les réglementations en matière de biosécurité, par exemple en Tanzanie et au Mozambique. Le Sommet de Dakar II promeut également des variétés de blé tolérantes à la chaleur au Soudan et en Éthiopie, en partenariat avec des sociétés semencières.

Alors que le changement climatique est une menace sérieuse pour les agriculteurs en Afrique, avec 70% des agriculteurs dépendant de l’agriculture pluviale, les approches AIC, y compris WEMA et les variétés de maïs résistantes à la sécheresse ne sont pas la solution. Non seulement l’AIC renforce les entreprises agroalimentaires et semencières responsables de la destruction des moyens de subsistance des agriculteurs et de la biodiversité agricole qui est nécessaire pour des systèmes alimentaires robustes, mais elle contribue également à la crise climatique, plutôt qu’elle ne la résout, en renforçant le système alimentaire industriel. Selon GRAIN et l’Institute for Agriculture and Trade Policy (IATP), les cinq plus grandes entreprises mondiales de viande et de produits laitiers sont responsables d’un volume encore plus important d’émissions de gaz à effet de serre que les compagnies pétrolières comme Exxon, Shell ou BP.

L’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA), qui compte parmi ses membres des petits exploitants agricoles, des éleveurs, des chasseurs-cueilleurs et des peuples autochtones, a expliqué comment les pratiques agroécologiques et autochtones sont la bonne voie à suivre pour que les agriculteurs africains survivent à la crise climatique.

Nous exhortons les participants au Sommet de Dakar II à i) envisager des moyens d’arrêter les accaparements des terres des agriculteurs, ii) rejeter les approches basées sur l’AIC qui renforcent les grandes entreprises semencières et agro-industrielles et iii) soutenir les initiatives des agriculteurs africains et d’organisations qui luttent pour la souveraineté alimentaire et l’agroécologie, et ceux qui se battent contre l’accaparement des terres par l’agro-industrie et les investisseurs privés.


Signée par:

  1. The African Technology Assessment Platform (AfriTAP)
  2. Terre à Vie, Burkina Faso
  3. Collectif Citoyen pour l’agroécologie (CCAE) Burkina Faso
  4. La Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN)
  5. Health of Mother Earth Foundation (HOMEF) Nigeria
  6. CESAO-AI, Burkina Faso
  7. Institute for Research and Promotion of Alternatives in Development (IRPAD) Bamako, Mali
  8. Environmental Rights Action/Friends of the Earth Earth Nigeria (ERA/FoEN)
  9. The African Centre for Biodiversity (ACBio)
  10. The ETC Group
  11. Congo Basin Conservation Society (CBCS Network) DRC
  12. Fédération agroécologique du Bénin (FAEB)
  13. Zambia Alliance for Agroecology and Biodiversity (ZAAB)
  14. Justiça Ambiental JA! Mozambique
  15. Alliance for Food Sovereignty in Africa (AFSA)
  16. Eco Defenders Network, Nigeria
  17. Les Amis de la Terre, Togo
  18. Conseil National de l’Agriculture Biologique (CNABio), Burkina Faso
  19. Eastern and Southern Africa Small scale farmers Forum
  20. Community Development Advocacy Foundation (CODAF)
  21. Zero Waste Ambassadors (ZeWA)
  22. Isoko Environment Monitoring Committee
  23. Africa Center for Environment and Rural Development (ACERD)
  24. Community Environmental Monitoring Committee
  25. Community Forest Watch
  26. Yasuni Association
  27. Abotokio Agro Village Farmers Association, Abotokio, Nigeria
  28. Worldwide opportunities on organic farms, Nigeria
  29. African Union of Consumers, Ndjaména/Chad
  30. International family of Catholic social justice organizations (CIDSE) (International)
  31. Biowatch South Africa, Durban, South Africa
  32. ReSCOPE Programme, Lusaka, Zambia
  33. Biodiversity and Biosafety Association of Kenya (BIBA Kenya)
  34. Bees Abroad UK
  35. Réseau Africain pour le Droit à l’Alimentation au Togo (RAPDA-Togo)
  36. BFA Food and Health Foundation
  37. Student Environmental Assembly Nigeria (SEAN)
  38. Host Community Network, Nigeria (HoCoN)
  39. Corporate Accountability and Public Participation Africa (CAPPA)
  40. The Young Environmental Network (TYEN)
  41. Civil Society Agrarian Partnership (CSAP)
  42. Committee on Vital Environmental Resources (COVER)
  43. Women and Children Life Advancement initiative
  44. Community Alliance for Global Justice/AGRA Watch
  45. Urban-Rural Environmental Defenders (U-RED) Nigeria
  46. Africa Europe Faith & Justice Network (AEFJN)
  47. AFRICAN WOMEN COLLABORATIVE FOR HEALTHY FOOD SYSTEMS
  48. African Women and Youth Environmental Initiative
  49. SPEAK Nigeria
  50. Network of Women in Agriculture Nigeria (NWIN)
  51. Nous Sommes la Solution
  52. Tanzania Alliance for Biodiversity (TABIO)
  53. Eastern and Southern African Pastoralists Network (ESAPN)
  54. Regional Schools and Colleges Permaculture Programme (ReSCOPE)
  55. Kenya Peasants League
  56. La Via Campesina Africa
  57. Indigenous women and girls initiative
  58. Food Sovereignty Ghana (FSG)
  59. Youth for Environmental Sustainability and Development (YESD) Nigeria
  60. Center for Food and Adequate Living Rights (CEFROHT) Uganda 🇺🇬
  61. Friends of Earth Africa (FoEA)
  62. GRAIN
  63. Centre for Minority Rights Development (CEMIRIDE), Kenya
  64. Eco Index Agro Solutions Limited
  65. World March of Women, South Africa
  66. Women Collective Kenya
  67. Foi et Justice, Cameroun
  68. Confédération Paysanne du Faso, Burkina Faso
  69. Société Civile Environnementale et Agro Rurale du Congo
  70. Secrétariat Permanent des ONG (SPONG), Burkina Faso
  71. Mouvement Africain pour les Droits Environnementaux dans la région de l’Est (MADEE), Burkina Faso
  72. COASP Burkina, Burkina Faso
  73. Fédération nationale des sociétés coopératives des Éleveurs du Burkina (SCOOP-CA/FEB), Burkina Faso
  74. Diobass, Ecologie et Société/Plate forme du Burkina Faso
  75. Urban-Rural Environmental Defenders (U-RED), Nigeria
  76. Association Tunisienne de Permaculture, Tunisie
  77. Association des Agriculteurs Sans Frontières, (AASF) Bukavu RDC
  78. Association des femmes et enfants sans voix, (AFEV) RDC
  79. Centre d’appui au développement et à la gestion de l’environnement (CADGE) RDC
  80. Association pour la défense des droits des aides ménagères et domestiques (ADDAD) Burkina Faso
  81. Les Jardins d’Hambe, Mali
  82. COASP-Mali, Comité Ouest Africain des Semences Paysannes, Mali
  83. Institut Panafricain pour la Citoyenneté, les consommateurs et le Développement (CICODEV), Sénégal