Newsletter d’AfriTAP, décembre 2021
AfriTAP présente sa première newsletter ! Cette dernière pointe les développements des nouvelles technologies en Afrique dans les domaines du climat, de la géo-ingénierie, de l’agriculture, des technologies génétiques et numériques. Nous espérons qu’elle vous sera utile. Partagez cette newsletter et invitez d’autres personnes à s’inscrire!
Mais qu’est-ce qu’AfriTAP ? AfriTAP est l’acronyme de l’expression anglaise African Technology Assessment Platform – en français Plateforme d’évaluation multidimensionnelle des technologies en Afrique (PEMTAfrique). Il s’agit d’une nouvelle iniciative de groupes de la société civile africaine et internationale qui travaillent ensemble à suivre, comprendre et répondre aux nouvelles technologies qui sont en train de remodeler nos vies et notre environnement. AfriTAP a été créée par HOMEF (Nigéria), l’IRPAD (Mali), Terre à vie (Burkina Faso) et ETC Group (international). Elle espère devenir un réseau à l’échelle du continent. Notre objectif est de rester vigilants quant aux nouvelles technologies introduites sur le continent et de nous assurer que les organisations de la société civile disposent d’informations pertinentes pour pouvoir évaluer, élaborer des stratégies et s’organiser. Pour plus d’informations, veuillez consulter https://assess.technology/fr/plateformes-devaluation-technologique-regionale/afrique/
Les contenus de cette édition sont les suivants :
Technologies climatiques
- COP26 : Les projets de géo-ingénierie climatique, une « condamnation à mort »
- La géo-ingénierie facilitée par le commerce du carbone
- L’agriculture et le projet usaméricain et des Émirats arabes unis « AIM for Climate »
- La résistance des organisations de la société civile africaine
Technologies génétiques
- Une nouvelle étape dans les expériences de forçage génétique de Target malaria
Technologies agricoles
- La Loi sur la protection des variétés végétales au Ghana
- Carte de l’agroécologie
Technologies numériques
- Fintechs
- Intelligence artificielle (IA) : Microsoft, Amazon et Facebook tirent profit du travail des réfugiés
Technologies climatiques
La COP26 : les projets de géo-ingénierie climatique, une « condamnation à mort »
La COP26 (26ème Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques) s’est tenue à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre 2021. Cette dernière COP était la plus urgente à ce jour et visait à ce que les pays s’engagent sur des objectifs ambitieux en matière d’émissions d’ici à 2030, notamment en prenant des mesures pour limiter le réchauffement à 1,5°C ; accroître les financements destinés à l’adaptation au changement climatique et respecter les engagements existants – à savoir fournir chaque année 100 milliards de dollars de financement climatique pour que les pays en développement investissent dans des iniciatives et des technologies vertes et protègent leurs populations des impacts climatiques.
Le caractère urgent de cette COP a été évincé par les intérêts des industries responsables de la pollution. Les lobbyistes du secteur des combustibles fossiles étaient plus nombreux que les représentants de la plus grande délégation nationale, et ces lobbyistes faisaient partie de 27 délégations nationales officielles. Presque 30 ans après la signature de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la COP26 n’est toujours pas en mesure de s’engager pour une élimination progressive des combustibles fossiles. Plusieurs personnes de la société civile et de communautés indigènes considèrent le résultat final de l’accord de Glasgow comme une « condamnation à mort ».
Les technologies émergentes ont joué un rôle de taille dans le greenwashing : une partie de l’accord de Glasgow implique des projets de technologies de géo-ingénierie, notamment une déclaration des États-Unis et de la Chine annonçant le déploiement de technologies de Captage, d’utilisation et de stockage du carbone (CUSC) et de capture directe de CO2 dans l’air (en anglais Direct air capture) dans le cadre de leurs plans climat. Le terme géo-ingénierie désigne des projets technologiques à grande échelle destinés à intervenir sur le système climatique via l’élimination du dioxyde de carbone, la gestion du rayonnement solaire et autres technologies à risque du même ordre. Les technologies telles que le CUSC et la DAC sont loin d’être sûres ou n’en sont qu’à un stade précoce de développement. Elles pourraient créer plus d’émissions que ce qu’elles ne réduiraient. Elles sont avant tout développées et défendues par l’industrie des combustibles fossiles, qui justifie l’extraction et la pollution en se basant sur un cadre « zéro émissions nettes ». Les engagements des entreprises en faveur du « zéro émissions nettes » partent du principe que l’investissement dans le développement de la technologie d’élimination du dioxyde de carbone (Carbone Dioxide Removal ou CDR en anglais) peut être particulièrement rentable, que l’on passe par des subventions ou de nouveaux marchés du carbone.
Crédit: Heinrich-Böll-Stiftung : Une capture d’écran de la vidéo, ‘Une technofixe pour le climat? La Géo-ingénierie atmosphérique’
La géo-ingénierie facilitée par le commerce du carbone
Les projets visant à inclure des technologies de géo-ingénierie dans les actions contre le changement climatique seraient facilités par un marché mondial du commerce du carbone réglementé, soutenu par les plus gros pollueurs au monde, États-Unis y compris. Selon ce modèle, les pays tenteraient d’atteindre leurs objectifs climatiques en achetant des crédits carbone, au lieu de réduire leurs émissions à la source. Les programmes de compensation des émissions carbone incluent des projets d’énergie « verte » tels que les monocultures de « biocarburants » et les barrages hydroélectriques, qui entraînent la destruction de l’environnement, des déplacements forcés de population, des arrestations arbitraires, voire même des assassinats. Les programmes de crédits carbone reposent sur la séquestration de terres, de forêts et de rivières dont les peuples autochtones dépendent pour leur subsistance.
L’agriculture et le projet ‘Aim for climate’ des États-Unis et des Émirats arabes unis
AIM for Climate (AIM4C) est une initiative significative lancée en marge de la COP26 qui porte sur les relations entre changement climatique et agriculture. AIM4C a été lancée par les États-Unis et les Émirats arabes unis et est actuellement soutenue par quatre pays africains : Le Kenya, le Burkina Faso, le Maroc et le Ghana. Ses partisans affirment qu’elle permettrait au système alimentaire mondial d’atteindre un niveau zéro d’émissions nettes d’ici 2050 grâce à une « innovation » axée sur le climat (à savoir une production alimentaire basée sur les technologies de numérisation, d’automatisation et de biologie synthétique). En réalité, AIM4C est avant tout destinée à propulser une nouvelle vague d’agriculture industrielle high-tech, en redorant le blason de l’agroindustrie, en attirant la finance climatique et en l’alignant sur les intérêts des sociétés du Big Data telles que Microsoft et Amazon (via Amazon Web Services), qui s’implantent déjà dans l’agriculture. AIM4C menace d’accélérer l’accaparement des terres, mettant ainsi en péril les moyens de subsistance des petits producteurs et paysans qui alimentent la plupart de la population mondiale et refroidissent déjà la planète grâce à leur agriculture locale et écologique.
Crédit: Becky Green, @space_nomad_sketches
La résistance des organisations de la société civile africaine
Malgré les restrictions en matière de voyages et d’accès dues aux coûts élevés, malgré le manque d’accès aux vaccins (on parle « d’apartheid vaccinal ») et les exigences complexes de voyage pour les participants des pays du Sud, la société civile africaine a organisé une contre-COP et publié une liste de revendications pour répondre à l’urgence de la crise climatique. Elle a appelé les gouvernements africains, le Groupe des négociateurs africains et ceux des PMA (Pays les moins avancés) à prendre acte de la manière dont le continent africain sera particulièrement dévasté par la crise climatique et à négocier dans l’intérêt des peuples africains et de la planète. Parmi leurs revendications figurait un appel à promouvoir la gestion de la technologie comme un bien commun : en permettant le transfert de technologies respectueuses du climat et de techniques de production localisées, sans restrictions de propriété intellectuelle ni conditions de prêt ; en s’engageant à garantir des énergies propres, la souveraineté alimentaire et le droit de voyager. D’autres groupes de la société civile, dont l’AFSA (Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique) ont appelé les gouvernements et les négociateurs africains à exiger des plus gros émetteurs, connus historiquement, des actions urgentes via un financement accru, des objectifs de réduction des émissions plus élevés, et des délais plus courts. Ils ont également appelé les gouvernements à prioriser la protection et la restauration de la biodiversité grâce à des solutions durables telles que l’agroécologie.
Les technologies génétiques
Une nouvelle étape dans les expériences de forçage génétique de Target Malaria
La controverse sur les moustiques issus du forçage génétique se poursuit au Burkina Faso où Target Malaria, une institution de recherche financée en grande partie par la BMGF (Fondation Bill et Melinda Gates), poursuit son projet de relâcher des moustiques génétiquement modifiés (et éventuellement des moustiques issus du forçage génétique) pour, selon eux, éradiquer le paludisme. Le 21 octobre 2021, l’Autorité nationale de biosécurité burkinabé, l’ANB (Agence nationale de biosécurité) a approuvé une demande de Target Malaria et de l’IRSS (Institut de recherches en sciences de la santé) pour l’utilisation confinée d’une souche de moustiques mâles génétiquement modifiés. Même si cette approbation n’inclut pas de dissémination dans la nature et qu’elle restreint soi-disant l’expérience aux limites de l’insectarium, l’étape suivante des recherches de Target Malaria prévoit bel et bien la création de moustiques issus du forçage génétique et leur dissémination. Au cours de cette étape, les chercheurs étudieront ce qui se passe lorsque ces moustiques mâles génétiquement modifiés s’accouplent avec des femelles locales non modifiées génétiquement.
L’Union Africaine a approuvé le déploiement de technologies de forçage génétique sur le continent, tout comme les gouvernements africains lors de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique de novembre 2018. Lors de cette conférence, les groupes de la société civile africaine avaient appelé à un moratoire sur la dissémination d’organismes issus du forçage génétique, moratoire qui a été bloqué par le Groupe africain. Les législateurs du monde entier sont actuellement invités à reconsidérer la manière de réglementer les tout derniers développements en matière de technologie génétique, d’édition génomique et de silençage génique. Les organisations de la société civile africaine, parmi lesquelles la COPAGEN, Terre à vie, l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique et le Centre africain pour la Biodiversité continuent de s’opposer à la dissémination de moustiques génétiquement modifiés au Burkina Faso. Bien qu’il ne s’agisse pas encore de moustiques issus du forçage génétique, les groupes de la société civile soutiennent que la dissémination de moustiques génétiquement modifiés présente des risques inacceptables. Aucune évaluation indépendante des risques environnementaux (ERE) n’a été publiée quant à ces propositions de disséminations et aucune consultation publique n’a eu lieu pour l’instant, mises à part les activités « d’engagement public » menées par Target Malaria, dépourvues de tout mécanisme indépendant permettant de garantir le consentement libre et préalable en connaissance de cause des communautés concernées.
Crédit: Becky Green, @space_nomad_sketches
Technologies agricoles
La Loi sur la protection des variétés végétales : Ghana
Au mois de novembre, Food Sovereignty Ghana (FSG, Souveraineté alimentaire Ghana en français) a déposé une plainte auprès de la Cour suprême pour contester la constitutionnalité de la loi sur la protection des variétés végétales (Loi 1050, 2020). Le procès devra déterminer si l’adoption de cette loi a violé la constitution du Ghana et si ce pays était membre de l’UPOV (Union internationale pour la protection des obtentions végétales) lorsque la loi a été adoptée. FSG a été à l’avant-garde de la campagne pour défendre les droits des agriculteurs à conserver, échanger et vendre librement les semences qu’ils préservent au Ghana. La revendiction indique, entre autres choses, que la convention UPOV 91 enfreint les droits des agriculteurs. L’UPOV veut obliger les pays signataires à appliquer des lois qui privatisent les semences, ce qui permet aux entreprises de poursuivre les paysans du monde entier qui utilisent actuellement leurs propres semences dignement et gratuitement. En vertu de ces lois, les entreprises ont le droit de soutirer des redevances conséquentes aux personnes et communautés qui cultivent ou conservent des semences visées par des droits de propriété intellectuelle – souvent à un taux de 10 à 12 %. Les gouvernements, en particulier ceux des pays en voie de développement, subissent souvent de fortes pressions pour inscrire l’UPOV à leur législation, que ce soit par le biais d’accords commerciaux ou de pressions exercées directement par les lobbies de l’industrie semencière.
Carte de l’agroécologie
L’AFSA (Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique) a partagé un outil très utile appelé Carte de l’agroécologie, savoirs et pratiques, une plateforme technologique. Cet outil permet la cartographie et l’échange d’expériences agroécologiques, dans le but de rassembler les gens pour renforcer et créer de nouveaux réseaux de collaboration en agroécologie. Bien que développé en Amérique latine et uniquement disponible en espagnol pour l’instant, il mentionne quelques expériences en Afrique. Ces données sont disponibles sur un logiciel gratuit, et peuvent être utilisées et partagées gratuitement : https://mapadaagroecologia.org/
Crédit: Isabelle Morgan, @isabellemorgan_illustration
Technologies numériques
Technologies financières
L’Afrique a récemment été décrite comme « le point zéro » de l’essor du financement des fintechs. Les « fintechs » ou « technologies financières » peuvent être définies comme des services bancaires et financiers rendus possibles par des programmes informatiques. La technologie financière la plus connue en Afrique est sûrement M-Pesa, un service de transfert d’argent par téléphone mobile qui a débuté au Kenya et est maintenant à l’œuvre en Tanzanie, au Mozambique, en RDC, au Lésotho, au Ghana, en Égypte, en Afghanistan et en Afrique du Sud. Des investisseurs du monde entier – y compris de grandes entreprises et des sociétés de capital-risque de pays n’ayant pas encore investi sur le continent – s’allient avec des agences de développement internationales telles que la Banque mondiale, USAID, le Département de développement international pour soutenir de nouvelles startups de la fintech. Le Nigéria, l’Afrique du Sud et le Kenya sont les principaux bénéficiaires de financements fintech en Afrique. Le Catalyst Fund de BFA Global mentionne que le financement des fintechs africaines est passé de 385 millions de dollars en 2018 à 1,35 milliard de dollars en 2020. Au mois d’octobre, Google a annoncé la création d’un fonds de 50 millions de dollars pour soutenir les startups africaines. La société Tiger Global, basée à New-York, a quant à elle investi 15 millions de dollars dans la société nigériane Mono, et 3 millions de dollars dans la fintech Union54 en Zambie. Sur le continent, 3 entreprises « licornes » sur 7 sont des entreprises de technologie financière : Flutterwave, Opay et Wave. Pour l’industrie du capital-risque, le terme « licorne » désigne une startup privée d’une valeur de plus d’un milliard de dollars.
Les Fintechs sont souvent présentées comme avantageuses pour le développement économique de l’Afrique et pour la création d’emplois. Les critiques affirment cependant qu’elles ne feront qu’accroître les inégalités et enrichir l’élite. Jusqu’à présent, les impacts de ces technologies ont été préjudiciables au Kenya : les entreprises de Fintech racontent par exemple à leurs clients qu’ils peuvent obtenir des microcrédits via leurs téléphones mobiles, ce qui a conduit des personnes à s’endetter et a également entraîné de graves problèmes de jeux au Rwanda, en Ouganda et en Tanzanie. Ces technologies ne profitent évidemment pas aux personnes défavorisées mais aux entreprises qui sont à l’origine de la révolution fintech et à leurs parties prenantes. Les journaux rapportent que les prêts par téléphone mobile ont entraîné une vague de problèmes comme des tensions domestiques, des violences et même des suicides. Nombre de personnes croulent sous les dettes et doivent contracter des prêts avec un service de téléphonie mobile pour rembourser les dettes existantes auprès d’un autre service de prêt. La rentabilité de la « dette numérique » repose sur la précarité des travailleurs appauvris qui utilisent ces services pour des besoins quotidiens tels que le paiement de factures ou l’achat de charbon pour préparer un repas.
Intelligence artificielle : Microsoft, Amazon et Facebook profitent du travail des réfugiés
Dans le monde des algorithmes et de l’apprentissage automatique, il est essentiel de disposer de données d’entraînement des données utilisées pour former un algorithme ou un modèle d’apprentissage automatique à prédire un résultat, à améliorer ses performances. Ainsi, pour former des véhicules autonomes ou automatisés, les entreprises ont besoin d’images de la route, d’images étiquetées de voitures, de piétons et de panneaux de signalisation. Pour annoter et étiqueter leurs données et effectuer des tâches liées à la formation de leurs algorithmes et de leurs projets d’apprentissage automatique, de nombreuses entreprises sous-traitent de la main-d’œuvre dans les pays du Sud, et en particulier dans les camps de réfugiés. En Afrique, l’entreprise Sama forme ainsi des réfugiés au Kenya et en Ouganda à effectuer ce type de tâches et recrute des réfugiés pour travailler sur le Mturk (Mechanical Turk) d’Amazon. Bien qu’ils contribuent à améliorer les capacités d’apprentissage automatique des plus grosses entreprises du monde (Microsoft, Amazon et Facebook), ces travailleurs sont très peu rémunérés pour ce type de micro-travail ou de « travail au clic » qui ne leur offrent aucune sécurité de l’emploi et qui ont lieu dans des espaces de travail particulièrement exigus. Phil Jones écrit que « les programmes de micro-travail ciblent souvent les populations dévastées par la guerre, les conflits sociaux et l’effondrement économique, et ce non pas malgré leurs circonstances déplorables… mais bien à cause d’elles ».
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Crédit: Isabelle Morgan, @isabellemorgan_illustration